Au risque de se perdre

16 July - 2 September 2022

Caresser le temps à l’ombre d’un récit coloré de doutes et de résilience, laisse entrevoir un passage sur la vie de personnages hors du commun. De ces aventures vécues aux confins du monde, parfois abandonnées aux forces d’une mer silencieuse, surgissent des mots à fleur de peau, des images baignées de chimères. Pour sa première exposition monographique en Chine, l’artiste française Daphné Navarre présente son travail plastique, photographique et vidéo à Three Shadows Photography Art Centre. Intitulée Au risque de se perdre, l’exposition prend la forme d’un voyage immersif sur les traces de la rencontre entre deux êtres. Les indices, dissimulés dans un corpus d’images et de collages inédit, se fondent entre les fils d’une histoire bordée de métaphores et de gestes.

 

Si l’écriture d’un dessein nourri de réel et de fiction jaillit dans l’architecture de son œuvre, Daphné tente de capturer les contours émotionnels d’une narration au cours de laquelle les tensions révèlent une réalité indicible sur l’autre. L’artiste s’est donc naturellement intéressée au concept d’amour à travers la vie de deux femmes, l’auteure et l’héroïne d’un livre publié en 1956, trouvé au détour d’une promenade sur les quais de Seine à Paris. Kathryn Hulme, journaliste et écrivaine américaine y conte l’histoire semi-biographique de Gabrielle, ses premières années au couvent où la dissolution du moi s’impose devant l’austérité du Carmel, avant d’être envoyée comme missionnaire au Congo. Dix-sept années de dévotion et de quête d’un amour absolu ne suffiront pas à Gabrielle pour pardonner aux nazis la mort de son père. Elle finira par renier ses vœux. Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, elle proposera son aide aux déportés et victimes de guerre en Europe, elle y rencontrera l’auteure qu’elle ne quittera jamais. Au risque de se perdre, devenu bestseller aux Etats-Unis, sera porté trois ans plus tard à l’écran dans un film sublimé par l’interprétation d’Audrey Hepburn, oscar de la meilleure actrice pour ce rôle. Mais ce récit est avant tout l’héritage d’un long voyage au cœur de l’intime.

 

Daphné Navarre réalise ses œuvres à partir de fragments d’histoires qu’elle manipule, efface ou refaçonne à sa guise, pour conserver l’essence d’un instant, la mémoire d’un regard et les empreintes d’un sentiment. Ici, elle a choisi de traiter le sujet dans une approche à la fois sensible et conceptuelle, en proposant une fresque composée d’archive et de documents soigneusement retravaillés, de photographies nouvelles, de films et de collages. Imaginé en deux chapitres, ce portrait dresse en creux une investigation sur la rencontre amoureuse entre deux personnages. Soulignant les contrastes et les passions sur un chemin en quête de vérité, l’exposition retrace des éléments de vie qui interpellent et interrogent notre relation à l’amour. Dans un paysage où l’errance se tourne vers la dévotion, l’image narre la description des rites et des cérémonies religieuses sous le dictat des règles du couvent. L’enquête conduira l’artiste à observer le bouleversement des sens dans les jardins du silence. L’amour spirituel à embrasser malgré le magnétisme des chairs, se révèle dans la contemplation d’un ailleurs et l’horizon de nouveaux continents. Associées à ces photographies d’archives solarisées, détournées et recadrées, une série d’images a été produite par l’artiste - matérialisant les émotions éprouvées au contact d’un quotidien semé de paysages. La photographie devient ainsi un territoire plastique investi de gestes et d’actions à la fois épurés et complexes.

 

Dans Chaba-Da-Bada, soixante extraits de l’histoire du cinéma sont revisités dans une narration nouvelle appelant suspens, impatience et pulsations en vitesse accélérée avant les audaces du prochain regard. Le dernier chapitre, essentiellement articulé de collages, célèbre le vent de liberté conquis au gré des sentiments. Les images décomposées ou fracturées se rassemblent autour de longues respirations exaltées dans les couloirs d’un autre temps. 

 

Enfin, Heartbeats signe un dernier éloge au mystère passionnel entre deux êtres, à contempler sous les traits d’une catharsis animée de danse.

 

On reconnaitra dans l’œuvre de Daphné Navarre, une mise en scène du récit et de ses interprétations possibles imaginée sous le visage d’une énigme sillonnée de lyrisme. L’abondance et les débordements d’un amour spirituel, platonique ou charnel, répondent aux images qui se découvrent dans les bras d’une poésie à écouter au moment présent. Malgré les soupirs épineux, les passages torturés et les ombres d’incertitudes, l’histoire de ces deux femmes porte dans ses veines, une longue dédicace à la liberté d’être soi. 

 

Mehdi Brit